L’Observatoire national de l’action sociale (Odas) a été créé en 1990, à la suite d’un accord passé entre les présidents des commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Jean-Michel Belorgey (socialiste), du Sénat, Jean-Pierre Fourcade (centre), et du président du Conseil économique et social, Jean Mattéoli (RPR), pour soutenir le projet déposé par deux dirigeants territoriaux, Jean-Louis Sanchez et Philippe Coste. Ce projet avait pour principal objectif de fournir aux décideurs politiques et administratifs nationaux et locaux des informations d’ordre anthropologique et stratégique susceptibles de les éclairer sur la portée de leurs actions. Mais il avait aussi pour raison d’être d’accompagner les cadres et les professionnels sociaux dans une nouvelle perception plus préventive de leurs actions.
L’ORIGINALITÉ DE L’INSTITUTION
Pour éviter d’être instrumentalisée par des forces politiques ou économiques, cette nouvelle institution avait choisi une forme associative, une gouvernance reflétant les différents courants politiques et institutionnels, et un mode de financement diversifié (collectivités locales pour un tiers, l’état pour un tiers, protection sociale et entreprises pour le dernier tiers). Son conseil scientifique était composé d’experts nationaux et locaux, dont le directeur général de l’action sociale, le directeur général de la Cnav, des membres de la Cour des comptes, des directeurs généraux de collectivités locales, des universitaires… Une institution sans précédent en Europe.
L’ADAPTATION DE LA SOLIDARITÉ JURIDIQUE
Durant ses dix premières années d’activité, l’Odas a principalement contribué à l’évolution de l’environnement juridique et professionnel de la solidarité. Ainsi, son premier axe de travail sur la santé participa de façon décisive à l’adoption par le parlement de la couverture maladie universelle (CMU). Jean-Michel Belorgey en témoigna : « En montrant l’intérêt social et économique des cartes santé dans les départements, l’Odas a su mobiliser les parlementaires dans leur diversité politique pour cette grande réforme ».
Son second axe de travail porta sur le soutien à l’autonomie, en soulignant dès 1993 l’importance d’établir une réglementation favorisant le maintien à domicile afin de diversifier l’offre de services et de respecter la liberté de choix des personnes en perte d’autonomie. Ces travaux aboutirent quelques années plus tard à la création de l’allocation personnalisée pour l’autonomie (APA).
Son troisième axe de travail porta sur la protection de l’enfance, en édifiant le premier système d’observation des signalements d’enfants en danger. Ce qui lui a permis de démontrer l’importance de restructurer la protection de l’enfance sur la prévention, et au-delà de la prévention, sur la « prévenance », c’est-à-dire la défense du lien social. La production, chaque année, d’une analyse de l’évolution des signalements permettait aux collectivités locales d’améliorer leur système de prise en charge. Ce travail contribua à la création de l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned).
LA CONCRÉTISATION DE LA FRATERNITÉ ET DE LA CITOYENNETÉ
En 1999, fort de ses constats issus de ses enquêtes de terrain sur les diverses politiques de solidarité, l’Odas s’orienta vers la recherche des démarches et outils pouvant favoriser le développement de solidarités naturelles et de repères collectifs. Plus précisément, il s’agissait de contribuer à la consolidation et à l’extension de liens entre générations, entre cultures, entre quartiers, entre familles… pour renforcer l’impact des solidarités juridiques. Dans cette perspective, l’Odas décida d’amplifier son implication dans les municipalités avec une relecture de la devise républicaine : si la Liberté et l’égalité sont l’affaire de l’État, la Fraternité (le vivre-ensemble) est d’abord l’affaire du local.
Avec un atout particulièrement précieux pour réussir ce repositionnement délicat : l’expertise au service de l’éthique. Après avoir lancé un « Appel à la fraternité », l’Odas fut désigné par le Premier ministre comme animateur de la grande cause nationale 2004 sur la Fraternité. Parmi les réalisations effectuées dans ce cadre, on peut rappeler la signature par deux tiers des maires de villes de plus de 1000 habitants d’une « Charte de la fraternité », ainsi que l’organisation de plusieurs centaines d’ateliers municipaux sur ce thème.
Dans cette mouvance, l’Odas a publié un grand nombre de rapports sur la transformation du travail social, pour le projeter vers le développement social. L’Odas a ainsi créé diverses activités pour renforcer cette dynamique : une agence des bonnes pratiques (Apriles) pour promouvoir les innovations inspirantes ; et un institut associatif de formation (l’INDS) durant dix ans pour former les responsables locaux d’action sociale sur le développement social.
Parallèlement, l’Odas a engagé diverses dynamiques de promotions d’actions en faveur du lien social, à l’instar des « journée citoyennes », créées par Fabian Jordan à Berwiller (68) en 2008, ce qui a permis d’essaimer cette initiative dans près de 3000 communes.
Durant toutes ses années d’activité, quelles que soient ses priorités, l’Odas n’a cessé de poursuivre sa mission d’observation, en effectuant des enquêtes et des recherches-actions, dont les enseignements constituent une véritable histoire de la décentralisation de l’action sociale. Et parmi ces enquêtes, l’une offrait tous les ans aux départements un outil précieux pour l’élaboration de leur budget : « État des dépenses et des actions départementales de l’année».
LA FIN DE L’ODAS
Durant ces trente-cinq années, l’Odas a conservé le même nombre d’adhérents que lors de ses premiers pas, soit la quasi-totalité des départements, une centaine de communes, les fédérations d’élus locaux comme l’AMF, les grandes associations du secteur social, médico-social et éducatif. Cette fidélité démontre l’intérêt porté par toutes ces organisations aux travaux de l’Odas. Ce qui se vérifie aussi du côté des grandes institutions de la protection sociale, comme la CNSA, la Cnav ou la MSA par exemple, qui n’ont cessé de s’appuyer sur l’Odas. Et pourtant l’Odas a été contraint, cette année, de cesser ses activités, en raison d’une baisse brutale de la contribution financière de l’état. Pour mémoire, ce soutien a toujours été effectif jusqu’en 2022, tout d’abord par l’intermédiaire de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), puis de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), avec une participation financière de l’ordre de 350000 euros (33% du budget de l’Odas). Or, depuis lors ce soutien n’a cessé d’être réduit, les administrations centrales de l’état évoquant leurs propres restrictions budgétaires.
Cette disparition de l’Odas n’est pas anodine. C’est d’abord un immense traumatisme pour les centaines d’acteurs locaux qui ont collaboré avec l’Odas. C’est aussi une grande tristesse pour l’équipe de l’Action sociale qui a tant partagé avec ce partenaire historique et ceux qui composaient cette si belle équipe. Mais surtout, elle reflète la détérioration de la dimension stratégique de l’état, qui pense pouvoir décider sans information autre que purement gestionnaire sur l’évolution des besoins et des attentes réelles de la société.
C’est la raison pour laquelle Le Jas traitera dans son prochain numéro de la relation entre le système de diagnostic et la décision publique. Car il s’agit à travers cette analyse de s’interroger sur la performance de notre démocratie.